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L'Orgue de Saint-Martin
Un lien vers un site sur les orgues (en anglais et en hollandais) : http://www.hetorgel.nl
 
Le texte qui suit est tiré d'une brochure intitulée "Inventaire général des orgues de Champagne-Ardenne" réalisée par M Jean-Marie MEIGNIEN et mise gracieusement à la disposition du site de la paroisse
 
1 - DÉCORS HARMONISÉS

Saint-Martin-ès-vignes

Sur l'ancienne voie romaine reliant Augustobona (Troyes) à Coesaromagus (Beauvais) s'assembla une petite communauté, dont l'existence est attestée pour la première fois par une bulle signée du pape Pascal II en 1117.

Des églises successives construites par ce petit peuple, tant pour vénérer une vierge martyre du IIIème siècle, Julia, que l'évêque de Tours, Martin, nous ne savons rien sinon ce qu'épargnèrent les Ligueurs qui, le 23 avril 1 590, détruisirent le dernier de ces édifices. El 1 somme peu de chose : quelques statues en bois (fin XIIIème-début XVIème siècle) conservées au musée Saint-Loup de Troyes et d'autres en pierre (XVIème siècle) replacées dans l'église actuelle, quelques verrières (XVIème siècle), 4 gargouilles (XVème siècle), une cloche (1545), un banc seigneurial (XVième siècle) et un buffet d'orgue (1539).

La plupart de ces épaves, souvent précieuses, furent réincorporées dans le nouvel édifice. commencé le 15 octobre 1592 (voir la pierre gravée au pied de l'escalier du clocher portant la mention Jacques Lécorché 1594) et achevé - pour l'essentiel - un bon siècle après. Ce temple, plus vaste et haut que le précédent, s'enrichit très vite d'oeuvres d'art diverses dues aux plus célèbres artistes troyens : verriers, sculpteurs, peintres, etc.

L'agglomération de Saint-Martin-ès-Vignes, proche de la capitale historique de la Champagne, toujours indépendante au XVIIIème siècle, fut constituée en commune en 1 790 et le demeura jusqu'à sa réunion à la ville de Troyes (loi du 10.7.1856).

Architecture et mobilier d'orgue Renaissance

C'est dans ce cadre que se trouve le plus ancien mobilier d'orgue de Champagne, constituant l'un des rares cas de contemporanéité d'une architecture et d'un orgue. Outre que, même ici, la rigueur des dates ne donne pas entière satisfaction (le buffet est antérieur à l'église), Il faut ajouter que l'ensemble mobilier n'est pas aussi homogène qu'il y paraît. Attardons-nous sur ses composantes pour mieux en juger.

Un buffet de 6 pieds fut d'abord construit pour 400 livres, de 1534 à 1539, par Damien Doublet, menuisier, dont on peut suivre les activités troyennes en consultant les archives locales (SM 107 ; BM ms 2545 copie Finot 11, 270 et ms 2830 p. 6, 13 ; AD fichier Rondot -1 SI 5, 1 68, 1 70). Sur les frises supérieures et inférieures furent peints en noir, sur le chêne naturel, les distiques élégiaques (en partie conservés) que voici

Haec licet natas flectet co(n)cordia mentes
Et chelys ac plectru(m) barbitos et cythara
Dulcius ast aures mulcent (praestantia illa)
(Organa) multimodis effigiata sonis.

A une époque plus mystique, le lecteur aurait pu se remémorer le commentaire de sailli Jean-Chrysostome à propos du psaume 91 :

Ici pas n'est besoin d'une cithare, ni d'un plectron, ni d'aucun instrument.
Mais si tu le veux, tu peux faire de toi-même un instrument en crucifiant
ta chair et en tâchant de réaliser avec ton corps une harmonie parfaite.

Mais quand vint effectivement le moment de remplacer les vers d'un émule d'Ovide, on leur superposa les célèbres versets du psaume 150 (sacrifiés lors de la restauration de 1967).

Doublet utilisa le pied de 30 cm 48, en usage en Champagne depuis le XIIIème siècle au moins. Il voulut que les tours extrêmes s'élevassent à plus de 16 pieds du sol et que la largeur à ce niveau fût de 10 pieds. Les trois plates-faces centrales forment un carré de 6' 1" 8"' de côté ainsi que le soubassement. De sorte que le rapport doré 1,618 est omniprésent ainsi que le symbolisme qui l'accompagne. La profondeur du meuble est de 3 pieds (cf plan ci-contre).

Au XVIIème siècle fut ajoutée la petite tourelle centrale, s'intégrant parfaitement à l'ensemble, mais gênant la lecture de certaines sentences. Les volets d'origine furent peut-être encore conservés pour un temps.

Vers 1704 l'ancien banc seigneurial du XVIème siècle fut converti en tribune d'orgue et implanté au fond de la nef, contre le mur Ouest (SI 176). Ses piliers cannelés et carrés, à chapiteaux cruciformes, furent réemployés en sous-oeuvre et remplacés pour situer la balustrade et le plancher à hauteur convenable. Le tout fut peint en couleurs vives et, comme pour le buffet, des sentences moins profanes que celles que recherchait la Renaissance furent inscrites en lettres d'or sur fond vert d'eau (toujours recouvertes de la peinture de 1841). Il est surprenant de constater que les entrelacs des panneaux pleins (XVIème siècle) se répercutent au bas des fenêtres de la nef (XVIlème siècle).

Envisagée en 1746, la construction du tambour ne fut réalisée qu'en 1754, pour la somme de 245 livres 7 sols (A.D. Nouv. Acq. 1457, 1458). Un escalier droit descendait vers le bas-côté Nord jusqu'en 1841, date à laquelle un autre, en colimaçon, fut dissimulé dans une sorte de trompe hexagonale (le pendant date de 1844). cf Annexe 111, 270.

Au moment des agrandissements de 1878-1880 (A. Bodié, arch.), un nouveau buffet de 12' fut implanté au fond de la tribune, derrière l'ancien meuble de 1539, essayant de conférer au tout une monumentalité qui ne sera jamais plus égalée ensuite. cf Annexe 111, 271-272.

Lors des derniers travaux de reconstruction (1963-1970), seules les tours extrêmes de cet ajout du XIXème siècle furent réutilisées. Aux faux positifs de 1854 et 1878 succéda un authentique buffet en chêne massif, abritant les jeux répondant au premier clavier du nouvel orgue ; construit selon les procédés traditionnels, il fut l'un des derniers ouvrages de l'ébéniste troyen Henri Kuhnowski. cf Annexe 111, 273.

Comme on le voit, chaque époque a laissé sa marque à cet ensemble. L'unité qui eil résulte toutefois tient plus au respect de l'esprit qu'à la concordance de la lettre.

Il - VOIX DE L'ARCHITECTURE

Les inconnues de la Renaissance et du classicisme

Les particularités organales des instruments logés dans ces boiseries jusqu'en 1794 nous sont toujours inconnues. Nous savons seulement que le buffet fut prévu pour être installé au sol et qu'il ne pouvait contenir qu'une partie instrumentale sans prétention, commandée par un seul clavier (Fl-A4 ?). Avec une dizaine de jeux à peine, il était sans doute plus important que celui de Méry-sur-Seine, mais plus modeste que ceux de Troyes, SaintEtienne (1 550), et Nogent-sur-Seine (1 587).

Au XVIlème siècle, il fut enrichi d'un dessus de récit (SM 106, SI 205) et en 1720 il bénéficia d'une reconstruction (1.700 livres). Depuis la Pentecôte 1713 il fut mis en tribune définitivement, comme l'atteste cette inscription gravée dans le mur Ouest :

Claude Jolly / première organiste / de céans. En 1713 a commencé / A la feste de la pantecoste / 1713 / CIaude Jolly organiste / et Mme Boulanger.

François Mangin, auteur de l'orgue de N.D. et Saint-Jacques-aux-Nonnains (aujourd'hui à Bar-sur-Seine), assura l'entretien jusqu'à sa mort. Les Jolly, autres facteurs troyens, lui succédèrent.

Le 18 germinal an Il (7.4.1794), la tuyauterie de l'orgue de Saint-Martin-ès-Vignes, ainsi que d'autres, furent confisquées conformément à la loi. L'orgue détruit resta muet pendant près d'un demi siècle. Quant à son mobilier épargné, personne n'en fit jamais beaucoup de cas. La tribune fut très rarement remarquée (SI 45 p. 51 et 176 pp. 379-404) et le buffet de Doublet fut longtemps considéré comme un pastiche assez réussi...

Pour réparer les méfaits révolutionnaires

Nicolas Thibesart (1779 + 1843), maire de Saint-Martin-ès-Vignes de 1840 à 1843, mit un terme à cette situation anormale et offrit à sa paroisse la reconstruction de l'orgue. Pour cela il consulta Nicolas-Antoine Lété, facteur d'orgues à Mirecourt (Vosges), qui lui fournit le projet (SM 108) d'un petit orgue romantique de 15 jeux sur 2 claviers, projet dont la réalisation s'éloignera quelque peu (SM 109 ; SI 101, 104, 124 ; cf les " Compositions comparées "). Lété entretint son orgue jusqu'à la fin de sa carrière (SM 1 1 0) tandis que, pendant les vingt années suivantes, diverses bonnes volontés se chargèrent de la maintenance. Les Rolin prirent le relais jusqu'au jour où la paroisse s'avisa de vouloir créer un grand orgue.

Un orgue symphonique de moyenne importance

En 1870, les marguilliers envisagèrent de consulter A. Cavaillé-Coll, comme le faisaient ceux de Chaumont. Mais, depuis que Jaquot-Jeanpierre avait installé l'orgue de choeur de Saint-Martin (1869) et réalisé d'autres travaux dans l'Aube, le facteur de Rambervillers (Vosges) savait s'imposer en cultivant l'art de la négociation. Un premier devis (1 1.3.1877) de 18300 F fut proposé, puis un second (13.12.1878) de 18000 F pour un orgue de 29 jeux sur 3 claviers et pédale (SM 1 1 2) qui servira de base au Marché du 22.2.1879 (SM 1 1 3) conclu pour 17700 F (SI 26, 102, 175, 209 ; cf tableau des " Compositions comparées "). Comme de coutume, le constructeur se réserva l'entretien (SM 114), jusqu'au moment où Bossier obtint la confiance de Désiré Béreau (1890 + 1962), le talentueux titulaire nommé en 1918 (SI 127). Cet organier, alors mieux apprécié que la postérité ne le reconnaît aujourd'hui, se vit confier une restauration qu'inaugura André Marchal le 18.10.1931 (c'est ainsi que disparut le cromorne de Lété, remplacé par un ramassis de tuyaux destinés à constituer un Nazard), SI 103, 182.

Un type d'orgue du XXème siècle

Dès la nomination de l'actuel titulaire, un projet de reconstruction fut envisagé, l'orgue de Jaquot-Jeanpierre et Cie n'offrant plus qu'une mécanique infidèle au service d'une palette sonore assez pauvre, quoique non dépourvue d'une certaine poésie. Le choix de l'esthétique et des procédés de construction dépendirent de celui du facteur, qui résulta lui-même de divers rebondissements imprévisibles.

Robert Boisseau, de Poitiers, fut le premier facteur recommandé (devis du 21.1.1963 pour un orgue de 37 jeux sur 3 claviers et pédale). Ses plans, livrés le 28.2.1963, sacrifiaient le buffet de 1539 en ne conservant du meuble que sa façade afin d'agrémenter - en l'améliorant - celle de Jaquot. Le dessin que fit de ce projet H.Kuhnowski, si réussi fût-il, ne pouvait toutefois faire admettre la quasi destruction d'un meuble du XVIème siècle, quoique non encore classé (cf reproduction ci-contre).

Philippe Hartmann, facteur d'orgues à Rainans (Jura), opposa diverses propositions (6 plans de 1963 à 1966 ; SM 11 5 à 11 8), fort séduisantes à certains égards, sans cependant respecter le fond du vieux buffet ni les côtés de la tribune. Une disposition compatible avec les impératifs de la conservation rigoureuse d'un mobilier très estimable fut enfin trouvée (SI 121), après que les travaux de facture d'orgue aient été commencés. Mais une faillite (1 967) arrêta le facteur, pourtant passionné par son projet.

Athanase Dunand, de Villeurbanne, avait travaillé à Saint-Joseph de Troyes (1963-1968) D'abord appelé à expertiser les travaux interrompus de Philippe Hartmann, il fut invité ensuite à les conduire à leur terme. Le 4ème projet du facteur franc-comtois (24.11.1967), prévoyant 49 jeux sur 4 claviers et pédale, fut réduit à 40 jeux (devis définitif d'A.Dunand du 10.4.1969 ; SM 11 9-120). Le Marché fut signé le 5.6.1969 (SM 121) et les travaux furent achevés le 13.12.1970 (SM 59, 60, 122 à 124, 162 à 164). Ce fut le dernier ouvrage d'un facteur arrivé en fin de carrière : chant,du cygne auquel il voulut donner le meilleur de lui-même en y associant son fils et successeur.

Culte et culture

Cette Voix de l'architecture ne correspond à aucun pastiche français ou étranger, mais suit naturellement l'histoire du mobilier et de la tuyauterie conservée pour atteindre une aptitude à l'exécution de la musique du XXème siècle, d'où certaines dispositions techniques nouvelles (cf discographie), sans exclure d'autres approches possibles.

Ces voix multiples d'hier, assemblées à celles d'aujourd'hui, permirent une redécouverte de l'acoustique des édifices troyens du XVIème siècle et de celui-ci en particulier, exceptionnellement favorable à la musique, d'où les concerts fréquents qui y sont donnés depuis 1971 (SI 217).

La beauté toute simple de l'architecture champenoise, baignée des harmonies matinales de l'orgue comme des ors du soleil couchant, est unique, et concourt à servir la prière et l'art autant qu'on y soit attentif.

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